• Corporalité du langage

    Lors d’une de nos séances de travail, nous nous proposons un petit jeu : une comédienne et un comédien sont sur le plateau. La comédienne est assise sur une chaise, en face du second comédien. Lui a pour tâche de déclarer sa flamme à sa partenaire, mais en utilisant un seul mot : « carotte ». Il ne peut donc pas compter sur le sens que porte déjà en lui le mot « je t’aime », mais est obligé de surinvestir le mot « carotte » pour que la comédienne assise comprenne son intention. Pour ce faire, il utilise toutes les ressources de sa voix, ses modulations, et également son corps, ses gestes.


    En empêchant le recours à un mot dont la signification seule contribuerait à témoigner en grande partie de son intention, l’acteur doit utiliser une énergie beaucoup plus conséquente pour se faire comprendre, ce qui ouvre le champ de la communication non verbale. Ceci permet également de désintellectualiser les rapports, et de passer au stade du corps, des affectes : en effet, le comédien doit faire sentir tout le désir qu’il a en lui.


    Et si nous pouvions parler de désinvestissement de notre langage dans la vie de tous les jours ? Il arrive que nous disions des mots sans les penser, ou sans prendre conscience de leur réelle signification. Il est en tout cas rare que nous laissions le mot se colorer de nos affectes intérieurs. Ce petit jeu nous renseigne en tout cas sur les implications intérieures que nous mettons dans la parole. Il est donc possible de jouer sur ces modulations : laisser le mot prononcé prendre en charge ce que l’on veut dire sans le remplir d’une intention ; ou bien investir le mot intentionnellement et affectivement, et lui donner littéralement notre corps, le laisser résonner en nous.

    A suivre...